LA RÉUTILISATION DES INFORMATIONS PUBLIQUES :
La question de la réutilisation des informations publiques a pris, en quelques mois, une ampleur qui l'a sortie des espaces réservés au public des archives : de billets diffusés sur de multiples
blogs (y compris celui de l'Association des départements de France) en communiqués dans la presse nationale, etc., le débat a désormais envahi les médias, cristallisé par l'offensive menée depuis
un an auprès de la totalité des départements français par la société NotreFamille.com afin de récupérer à marche forcée la totalité des images d'archives publiques à caractère généalogique déjà
numérisées par les collectivités, et de s'imposer comme interlocuteur incontournable pour la numérisation de celles qui ne le sont pas encore. « Les conseils généraux ont fait la sourde oreille,
à l'exception du Rhône et de la Meurthe-et-Moselle qui ont explicitement refusé » (La Gazette des communes, 9 août 2010, p. 15). Deux mois de silence de la part d'un service public saisi par une
demande d'usager valent refus : autrement dit, aucun département de France n'a donné une suite favorable à la démarche. Mais les deux refus, de principe et non pas de circonstance, explicitement
exprimés par le Rhône et la Meurthe-et-Moselle ont permis à la société NotreFamille.com de saisir derechef la Commission d'accès aux documents administratifs afin d'obtenir deux avis exemplaires.
Les deux avis, rendus le 25 mars dernier, concluent que, aux termes de la loi du 17 juillet 1978 modifiée par l'ordonnance du 6 juin 2005, les documents sollicités auraient dû être effectivement
communiqués, par cession gratuite de copies numériques (le requérant prenant en charge le transfert) si elles existaient déjà sous cette forme. NotreFamille.com a ainsi pu mettre à l'index les
deux départements ouvertement récalcitrants et justifier au regard de l'opinion le bien-fondé de sa démarche, tout en annonçant son intention de présenter un dossier éligible au titre du grand
emprunt. Le dispositif mis en place a été complété par l'achat, au début de l'été, d'une société spécialisée dans la numérisation et la diffusion d'archives en ligne - celle-là même qui diffuse
les actes paroissiaux et d'état civil conservés aux archives départementales de Meurthe-et-Moselle. Force est de constater que l'évolution de la législation en matière d'accès aux archives
publiques a ouvert à l'économie du numérique de nouvelles perspectives : si NotreFamille.com a pris d'emblée l'initiative, sur un mode revendicatif et contentieux de nature à obérer dans
l'immédiat toute perspective de partenariat confiant et constructif avec les collectivités territoriales, d'autres sociétés privées, françaises ou étrangères, ont commencé à manifester leur
intérêt pour l'exploitation en ligne des données à caractère généalogique extraites des sources d'archives publiques, et attendent leur heure. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Les archives
départementales de Meurthe-et-Moselle n'ont pas remis à NotreFamille.com les images numériques des listes nominatives de recensement de population pour la bonne raison qu'elles n'en disposaient
pas. Du coup, NotreFamille.com a modifié sa demande en exigeant, le 18 juin dernier, la cession gratuite (moyennant la prise en charge du transfert des fichiers à ses frais) de la totalité des
images numériques de l'état civil diffusées sur le site des archives départementales. Or le 21 juin dernier, le conseil général de Meurthe-et-Moselle a approuvé à l'unanimité un règlement
sur la réutilisation des informations publiques (images et données) qui soumet désormais celle-ci à licence. Trois types de licences sont proposés, avec une tarification adaptée, selon qu'il
s'agit de réutiliser des images ou des données, à usage public ou privé, gratuit ou commercial. Règlement, licences et tarifs, en vigueur depuis le 1er juillet 2010, sont affichés sur le site des
archives départementales. Si NotreFamille.com maintient sa requête, si d'autres sociétés souhaitent exploiter massivement les données extraites de documents publics conservés aux archives de
Meurthe-et-Moselle, il leur faudra donc s'acquitter du rachat des images et d'un abonnement annuel de diffusion commerciale des données réutilisées. Les clauses et tarifs adoptés par le
conseil général de Meurthe-et-Moselle reposent sur deux principes : éviter, d'une part, que les images numériques d'archives publiques sur papier, parchemin ou film, réalisées aux frais de la
collectivité (donc du contribuable, avec un coût de prestation loin d'être négligeable), soient récupérées de façon massive et totalement gratuite par des personnes physiques ou morales privées
et exploitées commercialement à leur profit exclusif ; ne soumettre, d'autre part, à abonnement annuel la publication (imprimée ou en ligne) de données extraites d'archives publiques qu'au-delà
du seuil d'une dizaine de milliers de données. Ce seuil a été défini de telle façon que l'exploitation des données d'archives publiques dans le cadre de la publication de travaux scientifiques ne
soit pas entravée, et que des activités de diffusion par les associations généalogiques locales ou par des généalogistes amateurs, comme celle de tables par commune, ne soient pas condamnées de
facto. Le lecteur l'aura compris : le compromis à tenir entre la garantie pour tous les citoyens d'accéder aux informations publiques conservées aux archives départementales et les limites
à poser dans l'exploitation des images et données, sans nuire pour autant à la recherche historique et généalogique, relève sinon de l'acrobatie, du moins d'un exercice d'équilibre délicat.
Hélène Say, Directeur des archives départementales.
Éditorial de la Lettre d'informations des Archives - Septembre 2010
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